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Industrialisation
05/05/2025

Parcours croisés de trois entrepreneurs deeptech qui industrialisent

Industrialisation noir et blanc

Trois startups deeptech, trois trajectoires industrielles ambitieuses, et une même volonté : produire en France des innovations de rupture. Entre contraintes économiques, défis humains et course au financement, Gauthier Chicot - CEO de DiamFab, Sébastien Gravier - CEO de Vulkam, Rémi Pérony - CEO de Caeli Energie gardent le « feu sacré » au moment où réindustrialisation et souveraineté portent des valeurs tant entrepreneuriales que citoyennes.

De gauche à droite sur la photo, Sébastien Gravier – CEO de Vulkam, Rémi Perony – CEO de Caeli Energie et Gauthier Chicot - CEO de Diamfab

Pouvez-vous présenter votre startup ?

Gauthier CHICOT – CEO de DiamFab :
« DiamFab fabrique du diamant synthétique, c’est un matériau semi-conducteur révolutionnaire pour l’électronique de puissance. Le diamant surpasse le silicium en termes de performances pour certaines applications (puissance, conditions extrêmes). L’entreprise est issue de l’Institut Néel (CNRS à Grenoble) et est le fruit d’une recherche sur le temps long, une trentaine d’années de recherche. Créée en 2019, nous sommes une vingtaine de personnes et développons une ligne pilote dans la métropole grenobloise pour produire des composants en petites séries et réaliser des tests et des qualifications. »

Sébastien GRAVIER – CEO de Vulkam :
« Vulkam fabrique des pièces métalliques ultra-résistantes à base d’alliages amorphes, avec une structure atomique désorganisée. Cela permet une miniaturisation et une durabilité accrues des pièces, deux à trois fois supérieures à celles du marché. Créée en 2017, nous construisons actuellement une usine de 3 000 m² qui produira deux millions de pièces par an. Nous sommes une quarantaine de personnes. »

Rémi PÉRONY – CEO de Caeli Energie :
« Caeli Energie conçoit et fabrique des solutions de rafraîchissement à faible impact carbone qui consomment cinq fois moins d’énergie. Créée en 2020, Caeli Energie s’adresse au marché B2B et bientôt au B2C. Contrairement aux deux autres startups, nous ne sommes pas issus directement d’un laboratoire, mais nous avons ensuite tissé des partenariats avec divers centres de recherche. Notre usine de plus de 1 000 m² produit déjà des sous-ensembles de climatiseurs sans fluides frigorigènes. Ils sont ensuite assemblés chez nos partenaires. »

Quels sont vos défis en termes d’industrialisation ?

Gauthier CHICOT – CEO de DiamFab :
« Notre principal enjeu, c’est de construire une chaîne de valeur qui n’existe pas encore pour le diamant semi-conducteur, qui pourrait remplacer le silicium. Nous devons démontrer la compatibilité de notre technologie avec celle des standards industriels des grandes galettes de silicium (wafers). Pour convaincre des industriels traditionnels, nous fabriquons nous-mêmes des démonstrateurs coûteux. Accélérer le rythme d’adoption de notre technologie implique des efforts constants d’explication au sein de l’écosystème. Notre défi est de construire une ligne pilote en faisant attention à chaque euro pour avoir assez de ressources et survivre jusqu’à la mise sur le marché.
La première levée de fonds était de 8 M€ ; la prochaine devrait être d’environ 20 M€. Elles doivent nous aider à couvrir des investissements massifs en CAPEX, avec un chiffre d'affaires prévisionnel quasi nul encore pendant plusieurs années. »

Sébastien GRAVIER – CEO de Vulkam :
« Nos défis sont nombreux et de natures très différentes. En premier lieu, notre objectif est de maîtriser toute la chaîne de valeur et de production de la métallurgie, une industrie historique où les prix sont optimisés depuis longtemps, avec une technologie qu’il faut démocratiser et expliquer auprès d’un marché qui ne nous attend pas.
Nous avons besoin de financements importants pour concevoir et fabriquer des machines qui n’existent pas sur le marché, et de monter en cadence sans avoir de commandes fermes. Nous sommes en mode techno push sur le marché. Le nouveau site industriel rassure les clients, mais souvent la montée en cadence se fait en anticipant les commandes fermes. De plus, les coûts de production doivent rester compétitifs par rapport à des filières très matures. La construction de notre site industriel envoie le signal d’un engagement fort : beaucoup de clients ne souhaitent pas rater cette vague d’innovation, et au final, cela déclenche des accélérations structurantes pour le marché. »

Rémi PÉRONY – CEO de Caeli Energie :
« L’enjeu majeur pour Caeli Energie est de réussir la convergence produit/process, de passer d’un prototype à une production robuste, et d’augmenter notre capacité de production avec de fortes contraintes financières qui limitent nos moyens. Le dilemme que nous vivons est une alternance entre une logique d’effectuation à la française (faire avec ce qu’on a) et une logique causale américaine (avoir les moyens de ses ambitions). Nous nous battons pour garder tous les indicateurs au vert dans un environnement fluctuant, conscients des risques. Nous devons faire nos preuves pour entrer dans les chaînes de valeur industrielles. »

Les recrutements sont clés dans cette phase d’industrialisation. Êtes-vous attractifs ?

Gauthier CHICOT – CEO de DiamFab :
« Pour l’instant, nos besoins sont principalement encore en R&D. Nous n’avons pas de recrutements massifs sur des profils industriels classiques. À ce stade de développement, les postes actuels sont attractifs pour des profils de chercheurs ou ingénieurs qui veulent travailler en start-up. »

Sébastien GRAVIER – CEO de Vulkam
« C’est difficile de trouver des opérateurs engagés ou des responsables industriels qui comprennent la logique d’innovation. Il y a encore un écart important de culture entre profils R&D et profils de production. Les ressources humaines constituent un vrai défi quand on passe de la startup à l’entreprise industrielle. De plus, alors que nous sommes sur un marché international, le coût RH en France est élevé. »

Rémi PÉRONY – CEO de Caeli Energie :
« Les recrutements sont difficiles, mais quelques succès récents ont transformé l’organisation. Même constat que Sébastien : il y a un vrai défi culturel à dépasser entre anciens profils R&D et nouveaux profils production. »

Comment appréhendez-vous le Made in France et la notion de souveraineté ?

Gauthier CHICOT – CEO de DiamFab :
« C’est un atout communication indéniable, mais difficile à tenir économiquement. L’industrialisation nécessite souvent des partenariats à l’étranger. C’est la réalité du marché. La France soutient bien l’émergence des projets, mais, sur la phase de l’industrialisation à grande échelle, les soutiens sont moins présents. Quand les montants en jeu sont plus importants, il n’est pas rare que des entreprises quittent le pays pour lever des fonds et se développer à l’international. La réussite est une course contre la montre engagée. Rien n’est plus défavorable à une startup que d’être confrontée à des donneurs d’ordre aux processus de décision lents et dont l’engagement est timide.»

Sébastien GRAVIER – CEO de Vulkam :
« Oui, la souveraineté est une donnée importante pour l’image, mais peu de clients sont prêts à payer plus cher pour du Made in France, d’autant qu’avec nos fournisseurs, nous avons de réels problèmes de qualité, de réactivité et de coût dans les filières industrielles françaises. L’international reste souvent plus performant et compétitif. »

Rémi PÉRONY – CEO de Caeli Energie :
« Est-ce que le Made in France justifie de payer plus cher ? Peu d’industriels sont prêts à supporter des surcoûts de 5 à 10 %. Nos clients considèrent le Made in Europe comme un moindre mal. Je fais le même constat que Sébastien : les industriels français ne sont pas toujours compétitifs ni fiables.
Il faut également savoir que nous pourrions lever dix fois plus d’argent aux États-Unis. Il y a un problème de moyens pour passer à la dimension internationale. »


En synthèse, les quatre idées clés qui émergent de cette interview croisée de CEO de deeptech qui industrialisent sont que le modèle de passage à l’échelle est inversé par rapport à l’industrie classique : le chiffre d’affaires vient après l’infrastructure. Former, intégrer, transmettre : un défi RH majeur. Le passage à l’échelle des startups deeptech se heurte trop souvent à un écosystème français encore sous-dimensionné. Le Made in France est une conviction et un atout en termes d’image, mais peine à être un vrai levier commercial.